Il y arrive un moment, sur la route des vacances, où l'ambiance devient tendue de la ceinture.
Où tout le monde s'agresse, où les nains commencent clairement à être fiants (alors qu'ils entament leur quatre-vingt quatorzième épisode de Jake et les pirates du pays imaginaire) et où même le Mâle commence à reluquer sa montre pour voir s'il est décent de réclamer quelques Pringeuls.
Avant d'avoir des nains, le trajet en voiture ne nous posait pas vraiment de souci.
Nous partions quand nous le souhaitions, nous arrivions quand nous le pouvions. De la bonne musique, des bonbons arlequins (oui, le bonbon Arlequin est un grand classique de la boîte à gant), et de la carte routière entre nous deux, gage d'une petite dispute habituelle et tellement réconfortante.
Désormais le trajet qui nous sépare de notre lieu de vacances est légèrement plus complexe puisque nous avons eu l'excellente idée de faire quatre adorables nains qui, en plus d'avoir un rythme et un caractère totalement différent, ne savent pas encore lire et ne possèdent pas de console de jeu, garante de l'harmonie en voiture.
Pour en avoir une preuve, je vous laisse relire quelques récits de
voyage là et
là (personnellement je m'abstiens, j'en ai encore des maux de ventre).
Bref, arrive un moment où tout le monde commence à avoir FAIM.
Et comme vous connaissez plus que parfaitement
la règle des 3F (fatigué, faim, fiant) vous savez qu'il est temps de vous arrêter.
Surtout que, vous le savez également, la règle des 3F s'applique au Mâle qui devient tout d'un coup très irritable et ronchon, intolérant aux cris de putois agressif qu'il supportait jusque là.
note de l'auteur : évitez à ce moment de sustenter le Mâle. En effet, le Mâle étant dépourvu de sens de l'empathie (en tout cas, bien moins que vous), vous risquez ensuite de devoir patienter un bon bout de temps avant l'arrêt tant attendu. "Maintenant qu'on (notez l'emploi du "on") n'a plus faim, on va rouler encore un peu".
Il vous faut donc opter pour un lieu où vous pourrez déguster un repas digne des plus grands restaurants étoilés.
Si vous êtes riches et que manger un mauvais plat sauceux ou friteux ne vous pose aucun problème, vous opterez probablement pour un resto-route dans lesquels les menus enfants sont souvent peu chers. En revanche, sortir 13,90 euros pour un morceau de jambon cuit avec du riz al dente, ça crispe toujours un peu le parent. Surtout si c'est froid.
Si vous passez par bonheur à côté d'une ZA (comprendre Zone Attractive) pourvue d'un Buffalo Grill ou d'un Mac Dal (ou équivalent), n'hésitez pas à y prendre un petit repas car même s'il vous en coûtera bonbon, vous pourrez larguer les nains dans une aire de jeux histoire que tout le monde se défoule les papattes, se prenne une baballe dans l’œil et revienne à la table parentale en chouinant.
De notre côté, comme nous ne sommes ni riches ni suicidaires, comme nous n'aimons guère manger des burgers-calorico-romi, nous optons depuis quelques temps pour le pique-nique.
Plus facile à installer, moins cher, le pique nique permet surtout de partager un moment convivial autour d'une nappe et de quelques guêpes.
Enfin nous, on aime.
- Papa? Je pose où la couverture?
- Bin pose là devant toi là, tu ne vas pas aller à huit kilomètres non plus.
- Là?
- Non, il y a une souche regarde.
- Là?
- Nan, c'est trop près de l'arbre où les caniches urinent.
- Ici?
- Non, non, un peu trop près des autres gens qui ont envie de manger dans le calme (si on occulte le bruit des voitures qui passent à 140 sur l'autoroute).
- Bon, bin je sais pas moi t'as qu'à le faire toi-même.
- Non mais merci, je porte la glacière moi le nain, tu ne peux pas rendre service?
- ICI ALORS!
- Voilà, ici c'est très bien. Installez vous.
Et les nains de se ruer en sandalettes et brindilles sur la couverture légèrement molletonnée au dessous plastifié.
- c'est MOUA ici
- Non Micronaine tu laisses un peu de place à ton frère...
- Elle m'a poussé maman!
- Micronaine on ne pousse pas, tu TE pousses.
- Elle m'a mis sa sandalette dans l'oeil, c'est dégoûtant et ça sent le caca.
- Ah non!!! QUI a marché dans le caca de caniche?
- c'est MOUA.
C'est le moment d'aller rincer mains et sandalettes au
karcher robinet des toilettes extérieures.
Pendant ce temps, le Mâle dresse le couvert :
- petits paquets de chips pour nains affamés (toujours prendre des petits paquets, ça évite les hurlements pour savoir QUI plongera sa main dans le paquet XXL de chips ondulées saveur Poulet Rôti).
- petites bouteilles de BOIPATOU (de l'eau donc) à distribuer. Chaque nain a sa bouteille pour éviter les drames et les vols. Les parents ont leur bouteille car ils n'aiment pas vraiment boire de l'eau remplie de sous-marins chipseux.
- jambon ou saucisson ou poulet. ET Chauchiche pour Micronaine. D'ailleurs Micronaine a son tupperware de chauchiche attitré, avec des chauchiches froides dedans. Ce qui ne lui pose aucun souci de conscience. Elle dégustera donc avec délectation des Knackis froides sous le regard dégoûté de ses frères (et amoureux du caniche voisin).
- du fromage en tranche. Mimolette pour faire rire le nain.
- du pain. Coupé à la main puisque le Mâle n'arrive plus à remettre la main sur le couteau suisse. Qu'il était persuadé d'avoir mis dans la glacière.
- des yaourts à boire, une valeur sûre. Le même parfum, framboise ou vanille, pour éviter tout incident diplomatique majeur. Simplifions nous la vie.
- des compotes à boire. Avec l'interdiction de les gonfler une fois vide pour les faire exploser devant le visage d'autrui. Car autrui trouve ça désagréable d'avoir des petites giclées de compote Pomme Banane sur lui. Surtout en plein été. Surtout près d'un nid de guêpons excités du dard.
- des fruits. Pour les adultes, les nains considérant qu'une compote à boire est un fruit à part entière.
Le pique nique est déballé et je vois déjà le Mâle faire de grands gestes avec la baguette de pain pour, je cite, "niquer ce con de guêpon qui veut attaquer sa fille". Nano est, effectivement, installée sur la couverture, calée entre les jambes de son père, et semble ne pas se rendre compte que son boudoir mâchouillé intéresse l'insecte.
- NE BOUGEZ PAS! Les guêpes iront voir ailleurs.
Bien sûr.
Les nains hurlent et renversent leurs bouteilles d'eau.
L'aire de pique-nique toute entière se retourne vers nous, les gens étant persuadés qu'un des enfants s'est fait piquer.
- Tout va bien les gens, tout va bien...
Je rassois les nains. Le Mâle n'avait pas bougé, armé de sa baguette il règne sur la couverture.
Les gens autour de nous replongent la tête dans leur salade de riz/pâtes préparées à l'avance et qui ont l'air succulentes, servies dans des petits bols en mélamine.
Certains s'attardent sur nous. Je les vois compter : 1, 2, 3, 4.
|
celui qui a conçu ces tables n'avait pas de nains |
Le pique nique commence.
Grand Nain veut un sandwich jambon-fromage. Un petit. Enfin un peu plus grand que ça quand même. Non, plus petit. Bon, ça ira (le Mâle a tranché). Il demande où est le beurre. Nous lui répondons qu'il fait 36° et qu'il n'a pas besoin d'être malade avec du beurre chaud. Il dit qu'il aime quand même mieux quand il y a du beurre.
Moyen Nain veut des chips. Il ne veut pas de jambon, il n'aime pas ça. Il préférerait de la purée jaune. Non, pas de saucisse froide non plus, il préfère la chaude. Non, pas de pain, le pain c'est en croûtons dans la soupe. Mais qu'on lui donne ses chips. Il veut bien ouvrir le paquet tout seul si ça ne nous dérange pas parce qu'il sait les faire exploser. On lui reprend le paquet, on lui ouvre, il se plonge dedans.
Micronaine a placé son tupperware sur les jambes et son paquet de chips pas loin, pile en face de sa bouteille d'eau. Elle alterne donc bouchée de chauchiche, poignée de chips et grande rasade d'eau. Elle s'enfourne tout dans le bec consciencieusement en surveillant d'un air mauvais le caniche qui lorgne ses knackis.
Nano tète et grignote un petit pot de fruit. Ce qui l'intéresse c'est surtout de boulotter un morceau de pain puisqu'elle a désormais deux dents (et qu'elle sait s'en servir). Elle voudra ensuite ronger un yaourt à boire. La vie est formidable pour Nano.
Le Mâle et moi-même mangeons rapidement nos sandwichs tout en contemplant d'un air dégoûté l'eau des bouteilles nainesques devenir trouble.
Grand Nain grignote et parle, pose des questions existentielles sur le plan d'urbanisme local et sur l'aménagement des aires d'autoroute, ainsi que sur le pourquoi du choix des toilettes à la turque dans ce type de lieu.
Je songe à romir directement tant l'image mentale dégagée par le mot "toilettes à la turque" est agréable.
Moyen Nain ne dit pas un mot, trop occupé à manger ses chips le plus rapidement possible. En effet, cher lecteur, si tu es au courant du packaging chips, tu sais donc que les petits paquets sont vendus par lot de six. Nano étant clairement trop petite (et trop édentée) pour se permettre cet écart calorique, il reste pour le moment un paquet seul à côté de la glacière. Que Moyen Nain s'est promis de dévorer.
Les nains ont terminé.
Micronaine a mangé 3 chauchiches et demi (burp), son paquet de chips et a terminé sa bouteille d'eau trouble. Elle est prête à s'achever avec un yaourt à boire.
Grand Nain ne veut plus de son sandwich (comme c'est étonnant) mais veut bien le deuxième paquet de chips que Moyen Nain pleure pour avoir (puisqu'il a terminé le premier).
Nous mettons le holà et distribuons les desserts.
Les yaourts sont sirotés puis jetés négligemment sur la couverture.
J'en suis encore à mon sandwich (rapport à Nano qu'il faut nourrir en même temps) et le Mâle n'est pas mieux (rapport aux moults paquets à ouvrir).
Les nains décident donc qu'il est l'heure de faire pipi, voire caca puisqu'un repas en pousse un autre. Charmant.
Nous tirons à la courte knacki et le Mâle gagne. De dépit, je jette ma knacki au caniche voisin et j'emmène la petite troupe vers les toilettes, guidée par l'odeur.
Nous nous installons dans une cabine.
Grand Nain commence, il sait gérer.
Moyen Nain ouvre la porte.
La chasse se déclenche sur les pieds de Grand Nain qui hurle qu'il est trempé.
Micronaine hurle aussi, mais de trouille.
Je hurle aussi, à Moyen Nain, de fermer cette putain de porte.
Il obtempère et baisse son pantalon pour faire caca. Il faut que je le tienne, il a la trouille du trou.
Je le tiens, Micronaine, elle, tient mon pantalon de ses deux mains (grasses et imprégnées de chauchiches) et manque de me le faire glisser le long des jambes.
J'ai la tête au dessus du trou de l'angoisse et je sens que la mimolette passe mal.
Moyen Nain prend son temps.
- En fait non maman, ça va.
- Quoi ça va?
- J'ai plus envie.
- Tu déconnes?
- Non, peut être tout à l'heure (entendre : quand on sera tous remontés, attachés et qu'on roulera depuis environ 9 minutes).
- Purée, vous faites suer les nains. Allez à toi Micronaine!
Micronaine préfère encore qu'on la prive de chauchiche pendant une semaine que de survoler le trou de l'angoisse de son délicat fessier. J'arrive à négocier un pipi dans l'herbe et nous sortons. De mon côté, je tenterai le pipi-apnée une fois les nains remontés en voiture.
Nous repassons nos mais au jet d'eau karcher et pendant que Grand Nain pleure car son tee-shirt est mouillé, j'en profite pour remballer le pique nique car le guêpon éclaireur a prévenu ses amis qu'une famille nombreuse pique niquait dans le quartier.
Le Mâle est debout et hurle au " putain de guêpon de merde" d'aller piquer le caniche tandis que Moyen Nain et Grand Nain ramassent du bois (qui sent l'urine) pour faire un feu, puisque ce sont des hommes très historiques (comprenne qui pourra).
Je commence à hausser un peu le ton en précisant qu'il n'est pas nécessaire de se rouler dans la poussière d'une aire d'autoroute pour être crédible mais manifestement ils veulent être dans la peau de leur personnage et partent chasser de quoi se nourrir. Le caniche frémit.
Je change Nano sur un coin de couverture, elle babille et semble très satisfaite de cette pause-repas. J'ôte un morceau de chauchiche de son body et j'époussette sa couche (des chips). Il est ensuite temps de se boire un délicieux café (soluble) en buvant l'eau chaude du thermos réchauffeur de petits pots de Nano.
Le café est tiédasse mais le Mâle et moi-même nous en contenterons puisqu'il faudra s'arrêter pour un caca de Moyen Nain d'ici quinze minutes et que ce sera l'occasion de reprendre de la caféine (et de tester nos compétences en matière de gestion de caprices face aux cadeaux hideux de l'aire Total la plus proche).
Il est temps de remonter en voiture car la route est encore longue. Les voisins nous regardent partir avec joie et recomptent les nains en hochant la tête.
Je peux entendre les "pas étonnant" et les "ils sont rapprochés" et encore les "OUF".
Il faut désormais rattacher tout le monde dans la voiture restée garée en plein soleil.
Il y fait 40° et les nains n'ont aucune envie de nous donner un coup de main pour récupérer les ceintures parties se nicher derrière les sièges autos.
Il fait 40° et ça sent la chauchiche.
Le Mâle s'installe au volant, je lui propose de changer mais il préfère éviter.
Je termine de boucler les ceintures et je remonte sur mon siège.
Les gens nous font coucou de la main (en pensant "salut les tarés") et notent le numéro d'immatriculation du trafic pour nous éviter lors d'une prochaine pause.
Les nains sont repus, l'ambiance va être bonne.
Pendant 9 minutes. Au moins.