Il y a des chemins qu'on prend et d'autres qu'on regrette de ne pas avoir pris.
Il y a ce que nous sommes, à un moment précis, et qui nous oblige à prendre une décision.
Et puis il y a tout le reste.
Tout ce qui nous arrive, tout ce qui nous tombe dessus, tout ce qui est là par la force des choses.
Il y a tout ce qu'on ne choisira pas, tout ce qu'on aurait jamais voulu voir arriver, il y a le "destin", le "hasard" ou la succession de faits qui amène à "ça".
Il y a les drames, ceux dont on parle
Il y a les drames intimes, ceux dont on ne parle pas.
Ceux qu'on évoque, avec ceux qui écoutent. Ceux que l'on murmure, quand on se sent prête à le faire.
Ceux qu'on dit, avec encore un noeud dans le ventre et la gorge nouée.
Ceux qu'on garde, au fond de soi, parce qu'ils font partie de nous.
Loin de moi l'idée d'établir une gradation.
Il y a toujours pire.
Cela ne veut pas dire qu'on ne souffre pas soi même.
Cet article, ça fait très longtemps que je veux l'écrire et puis je repousse le moment.
Je reçois beaucoup de mails à ce sujet, me demandant de dire, me demandant de décrire, me demandant de faire exister ceux qui ne seront jamais.
Et me voilà qui me lance, alors qu'on ne saurait retranscrire la souffrance de la perte, le vide, le rien.
Je veux parler aujourd'hui des pertes qui arrivent alors que l'on n'a pas eu la chance de voir l'imaginaire devenir vrai.
Je voulais parler des fausses couches, des enfants qui ne naîtront pas vivants, de ceux qui existent mais qu'on ne peut pas voir.
Je n'ai pas la prétention d'être juste, je n'ai pas la prétention d'être vraie.
Mais la fausse couche est "banale". Tout le monde en fait. Ou presque.
Mais personne ne le dit.
Parce que ce n'est rien. Parce que ce n'est pas grand chose. Parce que c'est un "coup pour rien", un "brouillon" et que ça va "finir par marcher".
Bien sur.
Ou pas.
La fausse-couche, c'est terrible.
Parce qu'en un quart de seconde, on passe d'un statut à un autre.
Une sonde est posée et tout s'écroule.
On porte la vie et puis on porte rien.
On "va avoir un bébé" et puis non. Le vide.
Etre pleine de rien.
Et l'attente.
Et le sang.
Et le sentiment que, peut être, ça n'arrivera plus.
Et le sentiment que personne ne peut comprendre. Parce que c'est notre corps. Parce que c'est notre âme. Parce qu'on avait déjà imaginé. Parce qu'on avait déjà dit. Parce que ça n'arrive qu'aux autres.
Je ne saurais dire combien, je ne saurais dire pourquoi. Mais c'est là, ça fait mal et on ne peut pas vraiment en parler. Et puis comment se plaindre? Et puis comment dire alors que "ce n'est pas si pire".
Bien sur.
Ce n'est pas la fin du monde.
Mais on a le droit de pleurer quand même. On a le droit de prendre le temps. On a le droit de se dire qu'on a perdu quelqu'un. Qui ne sera jamais. Qui n'a pas existé. Sauf dans notre tête. Et que c'est déjà beaucoup.
La perte d'un enfant in utero, je ne la connais pas et je ne peux pas l'imaginer.
Je peux l'entendre, je peux sentir mon corps frissonner à cette idée, je peux penser à la souffrance, à la douleur. Mais je ne peux pas savoir.
Je ne veux pas imaginer l'instant où tout bascule, je ne veux pas. Pourtant, être parent, c'est une infinité de moments où tout peut basculer. Là, c'est trop tôt. Ça ne devrait pas basculer là.
Perdre un enfant et ne pas savoir ce qu'il aurait été. Perdre un enfant et ne pas pouvoir dire aux autres comment il était.
Je sais qu'on s'en relève, je sais qu'on y arrive. Je sais qu'on peut avoir un autre enfant après.
Mais j'imagine combien l'angoisse est présente, j'imagine combien les choses sont différentes.
Il y a un après.
Sur ce sujet, je voudrais laisser la parole à Delphine, qui m'a énormément touchée.
Elle a écrit un joli livre sur son histoire. Un livre pour elle, pour sa famille, pour se souvenir, pour le garder.
Je voulais partager avec vous un peu de cette jolie rencontre:
"Ce vide en moi, je l’ai réellement ressenti lors de mon retour en chambre, après l’accouchement. Ou plus précisément lorsque, d’un coup d’œil par la fenêtre, j’ai surpris dans une chambre du deuxième étage des sourires, des flashs, des personnes debout autour d’un berceau, emerveillées.
C’est à ce moment là que j’ai regardé et touché mon ventre. Vide, sans vie. Et à mes côtés, rien. Pas de berceau.
Même si l’on savait depuis le jour de la mauvaise nouvelle qui a changé le cours de cette grossesse que le dénouement serait celui-ci, il est tout de même dur d’y être confronté…
Devoir faire le deuil de cette grossesse, mais surtout de ce bébé.
Affronter cette seule et unique rencontre, ce dernier au revoir, commander des roses blanches là où l’on aurait préféré acheter un nouveau couffin…
Faire face aux réactions des gens. Les compréhensifs, qui s’associent à votre douleur mais aussi les trop « terre à terre » qui, plutôt que de compatir, préfèrent vous dire que « Vous êtes jeunes, vous en referez un autre » et puis qu’après tout « C’est pas comme si vous l’aviez vraiment connu ».
Mais si. Si, on l’a connu. Il a partagé près de 6 mois de nos vies, on imaginait déjà son avenir, il avait un frère et une sœur qui étaient déjà impatients de le rencontrer.
Aujourd’hui, pas un jour ne se passe sans que l’on ne pense à lui. Il devait naître en février 2009. Alors on se surprend à penser à tout ce qu’il ne fera pas… Le premier Noël, le premier anniversaire, la première rentrée à l’école…
Oui, on l’a connu.
Oui, ça fait mal.
Mais oui, un grand oui, il a existé, il existera toujours dans nos cœurs, et qu’est ce qu’on l’aime notre Petit Prince…"
Voilà, je n'ai pas grand chose à ajouter, je tenais à dire, je tenais à écrire tout ça.
Pour celles qui.
Pour celle qui.
Pour ceux qui.
Pour ceux qui.